De l’abbaye de Saint-Chéron au lycée Fulbert

Ces pages ont pu être réalisées grâce au travail de recherche des élèves de première littéraire du lycée Fulbert, option histoire des arts, au cours de l’année scolaire 2004/2005 guidés par Brigitte Cotin, professeur au lycée.

La colline de Saint-Chéron

La colline s’élève à l’est de la ville de Chartres, le long d’une route existant dès l’antiquité.
L’endroit est nommé « sanctus caraunus » ou « beatus caraunus », appellations retrouvées dans divers documents à partir du XIIème siècle. L’étymologie du terme est celtique : caraunus se rattache à la racine « ker », la pierre. La présence de cimetières et la légende de saint Chéron (voir encadré) lui ont valu le qualificatif de sanctus ou beatus : «saint » ; une rue du quartier, la rue des pierres couvertes, atteste par ailleurs de la présence ancienne probable de dolmens. Saint Chéron est donc, la butte pierreuse sacrée.

La légende de Saint Chéron

C’est au IXème siècle que se répandit dans la région la légende de saint Chéron.
Originaire de Rome, il aurait été envoyé en Gaule par saint Clément en compagnie de saint Denis. Après avoir accompli en route quelques miracles, il serait arrivé à Chartres où vivaient déjà quelques chrétiens. Un nouveau miracle, la guérison d’un paralytique aurait permis d’autres conversions. Sur le chemin de Paris, passant par la butte située à l’est de Chartres, il aurait demandé à ses compagnons de l’enterrer là, s’il venait à mourir.
Peu après, en un lieu appelé depuis, saint Chéron du Chemin, des brigands auraient attaqué le groupe et décapité Chéron qui se serait sacrifié pour sauver ses compagnons. Ces derniers, revenus après un songe, sur la colline chartraine, y auraient découvert son corps transporté par des anges.
Plus tard, sous l’influence de la légende de saint Denis, Chéron fut lui aussi représenté portant sa propre tête jusqu’à sa sépulture et devint un saint « céphalophore » (porteur de sa propre tête) comme le montre le vitrail de la cathédrale qui lui est consacré. Plusieurs « vies de saint Chéron » ont été rédigées à partir du Xème siècle, un pèlerinage vers son tombeau est attesté au IXème siècle et il a une statue au portail sud de la cathédrale : saint Chéron est désormais « réel ».

Dès le XXème siècle sur le site de Saint-Chéron, on a trouvé des inhumations en sarcophages et des boucles de ceintures mérovingiennes.
La fouille qui eut lieu en 1989/1990, (fouille de sauvetage réalisée avant la construction de ce qui était alors de troisième lycée de l’agglomération chartraine) confirma ces premières découvertes.
Il s’agissait de la première nécropole fouillée à Chartres. Les études d’impact ont montré qu’elle pouvait compter environ 6000 sépultures sur une surface estimée au total à 20800 m2. Dans le cadre du chantier, seuls 38OO m2 ont été fouillés, ce qui correspond à l’emprise des bâtiments du futur lycée. Les secteurs non fouillés ont été protégés en attendant une autre éventuelle campagne.
Les études ont permis de découvrir au moins deux nécropoles distinctes sur le plan chronologique et différentes par leur nature. A l’ouest de la chapelle actuelle se situaient des sépultures à incinération datant de la fin du IIème et du début du IIIème siècle après JC (on a retrouvé des urnes). A l’est, a été mise au jour une nécropole très importante comportant des rangées de tombes à cercueils remontant à la fin du IVème et au début du Vème siècle après JC. Autour de l’ancienne église de l’abbaye détruite à la Révolution (actuellement tout près de la chapelle), on a découvert des tombes mérovingiennes datant du VIème siècle.
Par ailleurs autour de la nécropole il a été relevé quelques traces d’occupation du VIIIème au XIème siècle : six fosses dépotoirs contenant des fragments de poterie, deux « fonds de cabane » ainsi qu’un foyer.

L’abbaye Saint Chéron

Une succession de constructions et de destructions au fil des tumultes de l’histoire

L’histoire de l’abbaye est difficile à établir car ses bâtiments ont presque tous disparu et nous ne disposons pas de sources écrites qui permettraient de décrire la construction.
La tradition rapporte qu’une abbaye avait été fondée à la fin du VIème siècle, par saint Pappoul, (ou Pappolus) évêque de Chartres, pour abriter les restes du saint martyr. Une inscription située dans le mur du chœur et visible encore au XVIIIème siècle mentionne le roi Clotaire qui a doté le monastère. Cette première abbaye fut détruite par les Normands en 850.
Vers 1150, l’évêque Goslin de Lèves entreprend une reconstruction mais les bâtiments sont de nouveau détruits en 1360 par les Anglais, reconstruits vers 1500 pour être de nouveau saccagés en 1568 par les huguenots du prince de Condé. L’église en flammes figure dans l’angle du tableau du siège de Chartres en 1568 exposé au musée des beaux arts de chartres.
Encore une fois remontés de 1630 à 1690, les murs cèdent sous les coups des révolutionnaires

Le plan de l’abbaye
Saint-Chéron était bâtie selon le plan traditionnel des abbayes médiévales.

L’église abbatiale
L’église reposait sur une crypte à demi enterrée où se trouvaient le tombeau de saint Chéron et d’autres sarcophages. Son plan était simple : une nef à abside et un clocher porche. Son chœur se situait un peu au nord de l’emplacement de l’actuelle chapelle. Elle fut utilisée comme église paroissiale au XVIIIème siècle, fermée en 1792 et détruite en 1794. Sur le côté nord s’ouvrait une chapelle et sur le côté sud des bâtiments monastiques (sacristie, réfectoire, chambres) encadrant un cloître. Eux aussi furent détruits en 1794.


Description de la chapelle en vue de travaux en date du 11 octobre 1757

« On doit procéder à la mise en place de vingt quatre stalles, 12 de chaque côté, en bois de Hollande.

Sous les boiseries on a découvert une ancienne inscription, une citation du roi Clotaire comme celui qui a doté et agrandi la chapelle.

On doit faire un maître-autel ou du moins orner l’existant.

Tous ces embellissements sont faits grâce au legs de Chevalier Boulanger, pensionnaire de cette maison, d’après son testament datant du 22 novembre 1736. »

Notes de Janvier de Flainville , avocat à Chartres.


Le logis de l’abbé

Un peu à l’écart se trouvait le logis de l’abbé. En 1681, l’abbé de l’époque, Jean Testu le cède aux chanoines, moyennant la construction d’un nouveau logis. Le document précise d’ailleurs que l’affaire était bonne pour l’abbé puisqu’il cédait presque une ruine ! On dispose de la description du nouveau logis : 70 pieds sur 22 , fait de pierres avec des chaînages de briques. Sa façade faisait face au portail de l’abbaye. En 1785, nous savons qu’il est loué à un certain André Michau, concierge du château de Prasville.
Ce logis fut le seul à demeurer après les destructions révolutionnaires, et il fut par la suite intégré aux bâtiments du petit séminaire.

Le petit séminaire

De 1793 à 1824, les ruines de l’abbaye passent entre les mains de différents propriétaires. En 1824 elles sont rachetées par Monseigneur Clausel de Montals, évêque de Chartres, pour installer un petit séminaire. On sait d’ailleurs qu’un petit séminaire fonctionnait déjà au sein de l’abbaye.

Les bâtiments
A partir de 1850, des bâtiments sont construits en partie sur l’emprise au sol de l’ancienne abbaye. La chapelle de style néogothique (1858/1859) occupe approximativement le chœur de l’ancienne église abbatiale détruite. Divers corps de logis sont édifiés autour du logis abbatial, vestige du XVIIème siècle.

L’enseignement
Le petit séminaire de St Chéron avait pour but de préparer au grand séminaire ( rétabli depuis 1821 dans le bâtiment situé rue du cardinal Pie , et occupé jusqu’en 2005 par le service des archives départementales). La devise du petit séminaire était: « macte animo generose puer sic itur ad astra », ce qui signifie « l’esprit en grande ébullition des enfants les amène vers les astres ». Les élèves étaient répartis en plusieurs niveaux de la sixième à la classe de rhétorique. Après l’année de Rhétorique 2, ils entraient au grand séminaire.

Quelques matières enseignées

Les mathématiquesCe sont des exercices plutôt basiques, qui se réfèrent à des exemples de la vie quotidienne. Ils semblent préparer les prêtres à la gestion des biens de l’église et de la nourriture
Le françaisLa grammaire française était enseignée en classe de 5ème, puisque le 12 juillet 1831 un prix de grammaire française a été obtenu par un pensionnaire d’Unverre
Les sciencesOn sait grâce à l’inventaire des biens dépendant du petit séminaire de St Chéron, datant de 1906 que les élèves avait à disposition du matériel de chimie: une machine pneumatique carrée, une autre plus petite et une petite machine électrique
La morale civiqueEn 1904, elle n’est enseignée ni en 3ème ni en 4ème année , en effet les directeurs pensent que l’instruction religieuse remplace la morale civique.Sur les conseils de l’inspecteur, en 1905, la morale civique est enseignée, dans ces classes, par le supérieur lui-même. Pour enseigner cette matière le supérieur s’appuie sur deux ouvrages de M. Gécaut : Petit traité de morale sociale et Morale personnelle
La théologie, l’écriture sainte, l’histoire générale, l’histoire ecclésiastique, la littérature ancienne et moderneOn apprend grâce à l’inventaire des biens dépendant du petit séminaire de St Chéron, daté de 1906 que le petit séminaire possédait dans sa bibliothèque des livres destinés à ces enseignements


Le scandale du petit séminaire de Chartres

A Chartres, le 10 Décembre 1846, le journal « Le Glaneur » dénonce la concurrence déloyale faite par le petit séminaire de St Chéron au collège de Chartres. En effet, tandis que le collège de Chartres se vide, le nombre d’élèves du séminaire de St Chéron augmente singulièrement.

D’après « Le Glaneur », les prêtres du petit séminaire influenceraient les mères pour qu’elles leur envoient leurs enfants pour quelques francs, information démentie par le préfet de Chartres dans une lettre au ministre de la justice.

Pour « Le Glaneur », le petit séminaire accueillerait des élèves non destinés à l’éducation religieuse, pour l’argent.

L’influence du petit séminaire serait telle que l’établissement accueillerait plus de 150 élèves, nombre maximum de pensionnaires autorisés par la loi, mais les autorités restent passives.

De plus, « Le Glaneur » accuse le petit séminaire de faire porter l’habit ecclésiastique aux élèves dès la première année alors que ceux-ci doivent passer 2 ans au séminaire pour porter l’habit.

Bien évidemment, le préfet réfute ces accusations et affirme dans une lettre au garde des sceaux que le nombre d’élèves serait de 112.

Pour lui, « Le Glaneur » accuserait sans preuves le petit séminaire.


L’orphelinat

En 1906, à la suite de la loi de séparation de l’église et de l’état, le petit séminaire est transformé en orphelinat départemental. Les sépultures et les reliques sont alors transférées : les premières dans la nouvelle sépulture des évêques, au chevet de la cathédrale , celles de saint Chéron au grand séminaire actuel.

L’orphelinat resta en activité jusqu’à la fin des années 80.


Lettre écrite par le préfet d’Eure et Loir, M. R. Le Bourbon en 1906
« L’orphelinat départemental de Saint-Chéron ouvrira prochainement ses portes. Situé sur une hauteur dominant la ville de Chartres, installé dans des bâtiments spacieux au milieu d’un parc ombragé, l’établissement convient en tous points à la destination.
Des quartiers distincts y ont été aménagés pour les garçons et les filles qui y recevront non seulement des soins matériels et hygiéniques appropriés à leur âge, mais encore les leçons de maîtres compétents qui dirigent à la fois leur instruction et leur éducation.
Les enfants y seront admis de trois à douze ans aux conditions suivantes :
– ils devront être présentés par le Conseil municipal de la Commune à laquelle ils appartiennent
– être nés de parents domiciliés dans le département depuis cinq ans révolus
– se trouver dans la situation d’orphelins de père et de mère, ou d’enfants dont le père ou la mère est décédé ou disparus, ou d’enfants dont les parents sont séparés ou divorcés ; ou dont les grands parents sont dans l’impossibilité de les élevés. La famille devra participer aux frais d’entretien dans les proportions

(…) A défaut ou en cas d’insuffisance de ressources des parents, les communes seront autorisées à se substituer aux familles en tout ou en partie avant l’admission ou en cours de séjour à l’orphelinat.
Le nombre des places a été fixé provisoirement à cinquante (vingt-cinq pour chaque sexe). En raison de cette limitation, j’engage vivement les municipalités à présenter au plus tôt leurs demandes, accompagnés de bulletins de référence de naissances des candidats et des justificatifs énumérés plus haut. »


Extrait du règlement intérieur de l’orphelinat (document de 1912)

Chapitre II – Service économique
Section première – Régime alimentaire

Article 60
Les enfants font trois repas :
A 7h 15 du matin, petit déjeuner se composant de soupe ou de lait
A 11h 45, déjeuner : soupe, viande (ou poisson), légumes et dessert
A 6h 30, dîner : soupe, légumes ou pâtes et dessert

Section quatrième – lingerie, vestiaire
Article 65
Les vêtements que portent les enfants à leur arrivée à l’établissement seront lavés et désinfectés.

Mesures de propreté et de salubrité
Article 75
Les enfants prennent des bains et douches autant que possible une fois par semaine, sauf indication contraire du médecin.

Mesures d’ordre et de discipline
Article 80
En été, les enfants valides âgés de 7 ans au moins se lèvent à 6 heures du matin et en hiver à 6 heures 30
Ils se couchent à 8 heures du soir
Pour les enfants de moins de 7 ans, les horaires seront fixés par le directeur, après avis du médecin.


Le lycée Fulbert

Le 26 novembre 1991 est inauguré le troisième lycée de l’agglomération chartraine, ouvert aux élèves depuis la rentrée 91. Sur proposition du conseil d’administration de l’établissement, le Conseil Régional le baptise du nom de « Fulbert », en référence à l’enseignement dispensé par l’évêque au sein de l’école de Chartres, au début du XIème siècle. Il est destiné à accueillir à terme 1400 élèves et a une vocation à la fois générale et technologique, préparant aux examens du baccalauréat et du brevet de technicien supérieur.
L’architecte Jean-Michel Aubry du cabinet Aubry-Ferrieux répond à un certain nombre de contraintes :
– ne pas détruire par une construction l’emplacement des nécropoles, pour laisser la possibilité de reprendre une campagne de fouilles.
– rénover les constructions anciennes et y associer des bâtiments neufs en assurant l’unité de l’ensemble.

La chapelle apparaît comme le point central du projet, sorte de signal qui marque dans le paysage de la ville, l’emplacement du lycée. Elle est aussi au coeur du plan et constitue l’entrée principale de l’établissement. Le lien entre le nouveau bâtiment (destiné aux salles de cours) et les anciens (où sont installés les bureaux de l’administration ainsi que le centre de documentation du lycée) se fait grâce à un parcours de galeries-portiques dont la couleur bleue assure la lisibilité.
L’enduit rose choisi à la fois pour les constructions récentes et la rénovation des parties anciennes assure l’harmonie.
Enfin l’esplanade, sous laquelle se situent les nécropoles antique et médiévale, relie, tout en gardant l’ampleur de l’espace, les deux époques.

Bibliographie

Documents consultés aux archives départementales d’ Eure- et- Loir (cotes : PER 5, 1 T 337, IX 284 , J 180, 6 M 206bis, M2, V 313)
Histoire de Chartres , Roger Joly, Editions Horvath,1982
Chartres Eglises et Chapelles par Jacques Lacour, société archéologique d’E et L , 1985
Le guide de Chartres ,Jean Villette, La Manufacture, 1988
Quinze années de recherches archéologiques en Eure- et- Loir CAEL janvier 1991
« L’abbaye de Saint-Chéron lès Chartres » par Claude STEFANI . In Les nécropoles de Chartres et l’abbaye de Saint-Chéron sous la direction de Dominique JOLY .(Chartres bibliothèque municipale) 1992
Chartres, par rues, tertres et monumentsGuy Nicot, Jean Legué éditeur 2002

Remerciements

Dominique Joly, Brigitte Lesage : Maison de l’archéologie Chartres
Services des archives départementales